jeudi 29 août 2013


Les responsables des moyens et petits EPCI
redoutent un naufrage du troisième
volet du projet de loi de décentralisation, censé
 renforcer la coopération intercommunale.
De l’acte III de la décentralisation, que va-t-il rester aux intercommunalités ? Tandis que de nombreuses communautés d’agglomération et de communes viennent de voter une nouvelle redistribution de sièges, cette question tracasse les élus et les directeurs des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
En raison du tronçonnage en trois parties du projet de loi, ce sont les métropoles, au programme du premier volet, qui ont accaparé le débat. Le troisième volet, censé traiter des aspects relatifs à l’intercommunalité, devrait être discuté après les élections municipales de 2014.
Enlisement et déceptions - Des compétences renforcées ? Davantage de mutualisation de services ? La suppression de la nuance de « l’intérêt communautaire » dans certains cas ? Pour l’heure, l’incertitude règne. Et les partisans du statu quo ou de la progression la plus lente possible se frottent les mains.
L’Assemblée des communautés de France (ADCF) a « déploré la scission en trois textes » assurant, fin juin, avant la première lecture du premier texte, que « ce choix fait redouter des risques d’enlisement de ce vaste chantier de réforme et sa perte de cohérence générale ».
Elle craint l’examen très tardif, voire l’abandon, des dispositions visant à renforcer le socle des compétences obligatoires et optionnelles des intercommunalités, mais aussi à instituer le haut conseil des territoires (HCT), innovation attendue pour « formaliser le nouveau dialogue entre l’Etat et les collectivités décentralisées ».
La présidente déléguée de l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF), Martine Poirot, regrette la « perte de lisibilité et de visibilité sur la clarification des compétences. Dans un vrai acte III de la décentralisation, les trois volets étaient intimement liés, or si on le vide de sa substance il y aura des déceptions. Les attentes sont nombreuses, car la décentralisation existe dans les faits. Avec le retrait de l’Etat, les collectivités ont une responsabilité grandissante ».
Méfiants quant à un vote après les municipales, certains dirigeants de communauté pensent que le troisième volet de l’acte III pourrait ne pas passer avant les sénatoriales, voire être renvoyé aux calendes grecques.
Le HCT sauvé des eaux - Pour qu’elles soient opérationnelles en 2015, les élus et les directeurs territoriaux espéraient voir certaines dispositions réintroduites dans le premier volet législatif de la réforme de la décentralisation ou dans d’autres projets de loi.
Cela a été le cas pour la création du HCT, rétablie début juillet dans le premier volet. « Superviseur des travaux des conférences territoriales de l’action publique, le haut conseil aura un rôle essentiel à jouer en début de législature, au moment où s’engageront nombre de chantiers de réforme nécessitant une concertation étroite entre Etat et collectivités », se félicite l’ADCF.
Le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), autre disposition importante du troisième volet du projet, devrait être, lui, repris dans le projet de loi « Duflot » pour un accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), étudié à l’automne.
Des interrogations demeurent concernant d’autres mesures censées renforcer l’intégration des intercos, la mutualisation descendante des services dans le bloc local et la suppression de l’intérêt communautaire(1) dans plusieurs domaines tels que l’urbanisme, le développement économique et la voirie.
La fusion d’EPCI en cours en 2012 et 2013, qui représente une rationalisation de la carte intercommunale de grande ampleur, doit permettre de doter ces groupements de davantage de moyens. La suite logique serait l’élargissement des compétences obligatoires et optionnelles, ainsi que le renforcement de la mutualisation.
Celle des services publics est déjà expérimentée dans de nombreux territoires : les communautés d’agglomération de Dole et de Quimper partagent une partie du personnel avec leur ville-centre, l’agglomération de Mulhouse dispose d’un organigramme unique, sans compter des villes plus peuplées, comme Rennes ou Strasbourg.
« C’est un mouvement de fond qui ne va pas s’arrêter, mais l’on souhaiterait que la loi incite plus fortement à ces rapprochements, car ils permettent de maintenir un bon niveau de service localement », assure l’ADGCF. Des schémas de mutualisation doivent être mis en place au 1er janvier 2015.
L’intégration, au cas par cas - Concernant l’intégration des compétences (2), les avis divergent.
Selon les directeurs généraux, « l’intégration locale est un gage de clarté et d’efficacité opérationnelle, elle permet une vision globale des politiques publiques locales. Quand les compétences sont disséquées, cela complique le travail », considère Martine Poirot.
A l’ADGCF, « plus de 90 % [des] membres considèrent ainsi que le PLUI est une nécessité. Les avis sont beaucoup plus partagés en ce qui concerne la voirie : 50/50. Il faut regarder au cas par cas, selon certains il serait compliqué de transférer toute la voirie à l’interco et ils préféreraient ne gérer que les voies où passent les transports publics ».
Le jour où, finalement, ces sujets se retrouveront dans les débats parlementaires, les dispositifs d’incitation financière seront également des pierres d’achoppement, qu’il s’agisse des éléments pris en compte pour calculer le coefficient d’intégration fiscale ou des effets sur les dotations des communautés et des communes qui les composent.

Entretien – « Le système politique est ordonné pour que chacun assure sa propre succession »

Eric Kerrouche, directeur de recherche au CNRS (3) et président de la communauté de communes Maremne Adour côte sud (23 communes, 56 400 hab., Landes)

Quel est votre avis sur les orientations de l’acte III concernant les intercommunalités ?

Parmi les nouveautés, la mutualisation me semble l’évolution la plus importante en l’état actuel. La mutualisation des investissements et de compétences permettra de proposer des services communs sans prise de compétence. On peut aller plus loin – et faire mieux – dans la démocratie locale grâce à la mutualisation de compétences et de personnel, tout en respectant les personnes morales. Ce volet de l’acte III devra s’agréger à des mesures qui seront valables à partir du prochain mandat. Même si l’on n’a pas voulu en débattre avant les élections municipales.

Et sur l’intégration de nouvelles compétences comme l’urbanisme, le développement économique, la voirie ?

Il est souhaitable de gérer l’urbanisme au niveau intercommunal. Le plan local d’urbanisme intercommunal est une bonne chose. Si l’on considère que les intercommunalités assument un rôle d’aménagement, il est normal que les grandes stratégies leur reviennent. Les schémas de cohérence territoriale intercommunaux sont déjà un point positif, mais il faut aller plus loin.

Que pensez-vous de la suppression de l’intérêt communautaire pour certaines compétences ?

L’intérêt communautaire est la pilule qui a servi à faire passer l’intercommunalité. Faire de la voirie une compétence entièrement communautaire, par exemple, c’est répondre à une logique d’habitants. La voirie est l’outil où s’expriment les politiques de transport et mobilité. Mais les problèmes ne connaissent pas les logiques administratives. Si l’on veut faire de la desserte en voirie douce, et qu’un maire n’est pas d’accord sur la place du vélo dans la ville, il ne peut bloquer une approche globale. Les déchets, l’intermodalité, le transport public, l’eau et l’assainissement sont des politiques où la réflexion doit s’articuler à un niveau intercommunal. En revanche, cela a des effets sur le système politique.

En quel sens ?

Quand on redessine le territoire, il y a moins de places ! Le système politique est ordonné pour assurer sa propre succession. Chacun veut continuer de peser et donc de s’appuyer sur son espace, politique et financier. La voirie, par exemple, représente quelque chose en termes de rationalité d’aménagement, mais aussi en termes de marchés publics.

Pourquoi êtes-vous favorable à l’élection au suffrage universel ?

Quand on lève l’impôt et que l’on gère des budgets dix fois supérieurs à ceux de certaines communes, il est logique d’être en situation de rendre des comptes, d’être redevable et responsable. Avec de plus en plus de compétences, il n’est pas normal que le président de l’intercommunalité ne soit pas élu au suffrage universel direct.

Les opposants affûtent leurs arguments

Comme l’Assemblée des communautés de France, l’Association des maires de France se réjouit de la création d’un haut conseil des territoires dès le premier projet de loi. En revanche, elle « estime que ce texte doit rester centré sur les dispositions applicables aux plus grandes agglomérations françaises sans traiter d’autres dispositions, plus générales, relatives à l’intercommunalité ».
Le président de l’Association des maires ruraux de France, Vanik Berberian, considère que « le principe devrait être de confier le soin aux élus de définir les règles du jeu et que l’Etat s’occupe d’assurer des moyens équitables. Cette réforme a manqué de courage, la vraie décentralisation c’est laisser les collectivités se coordonner et non transposer sur elles l’organisation pyramidale de l’Etat ».
Concernant le troisième volet, Stéphane Bussonne, vice-président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales, souligne que « la définition de l’intérêt communautaire permet de s’adapter. Nous regrettons que, dans le projet de loi, on veuille limiter cette définition et nous contestons que cela soit fait de manière systématique, ce qui ne permettrait plus de s’adapter aux territoires ».